A titre personnel, je suis convaincu que ce blog est bien tenu par quelqu’un de réel qui pense et s’exprime sincèrement et exactement comme il le fait dans ses articles. Pourtant, je ne peux m’empêcher d’en douter à leur lecture et à celle de ses commentaires. Ce qui est intéressant ici, ce n’est pas tant que l’on puisse affirmer explicitement de telles choses (il suffit pour ça de ne pas être très cultivé ou pas très malin) mais de voir comment il peut exister des choses si absurdes qu’il devient impossible d’être tout à fait certain qu’il s’agit bien de choses réelles. C’est une expérience assez troublante que de se dire que l’absurdité que nous avons sous les yeux EST une absurdité. En théorie, les absurdités n’existent pas, justement parce qu’elles sont absurdes. A la rigueur, il s’agit de second degré, mais dans un tel cas, on peut effectivement penser que ce n’est pas l’absurdité elle-même qui existe, c’est son illustration, sa dénotation.
L’interrogation est ici « ontologique » : qu’est-ce qui fait la différence entre une caricature et une chose caricaturale comme le blog de Matthieu, 16 ans, jeune pop‘ écervelé ? Pour cela, il faut savoir ce qu’est une caricature. On pourrait proposer qu’une caricature est une opération consistant à « simplifier » une réalité (une personne, une situation, un propos) en lui autorisant un nombre extrêmement réduit de ses prédicats, de ses caractéristiques par suppression de tous les autres. Par exemple, la caricature du sportif est celle qui attribue à l’individu (le sportif) l’unique prédicat relatif à son sport (taper dans un ballon pour un footballeur, nager pour un nageur…). L’individu sportif n’a plus qu’un seul prédicat, qu’une seule caractéristique : celle définissant son activité. On pourrait presque dire que le sportif est réduit à son sport, l’individu à son activité. La caricature d’une personne consiste donc à réduire cette personne à ce qu’elle « est » ou plutôt à la façon dont on la dénote. Ainsi la caricature politique consiste à réduire le discours ou l’individu politique (de droite ou de gauche) à un ensemble de propositions simples et réduites (de droite ou de gauche) qui, parce qu’elles sont trop étroites et trop peu nombreuses, nient une partie de la réalité et deviennent alors absurdes en entrainant des paradoxes ou des situations impossibles. C’est de l’absurdité qui découle de cette réduction du complexe au simple que vient l’effet comique. Une des caractéristiques de la caricature est qu’on ne peut pas la caricaturer. En effet, puisqu’il s’agit déjà d’une chose « simple », on ne peut plus la réduire encore. Une autre en est qu’une caricature n’est pas réelle puisqu’elle consiste toujours à ôter au réel un ensemble de faits, de nuances, de prédicats, à abstraire l’objet à caricaturer tout ce qui fait qu’il est au monde (une histoire, un contexte, des liens et des rapports avec d’autres objets etc.). Caricaturer, c’est abstraire, arracher par l’esprit, un objet du monde concret et lui dénier un nombre considérable de ses caractéristiques afin de le simplifier au maximum pour produire les paradoxes et absurdités comiques. La caricature est donc une Idée-de-quelque-chose et n’existe donc pas en tant que telle.
Mais revenons à notre Matthieu. Si nous croyons qu’il existe réellement, nous ne pouvons pas lui attribuer sincèrement la caricature comme prédicat. Qu’est-ce à dire alors que d’affirmer que ce blog « est une caricature » ? Tout simplement qu’il est l’expression des idées de droite prises unilatéralement et l’une après l’autre, comme un caricaturiste ferait pour caricaturer plusieurs foi et à chaque fois sous un autre angle un ensemble complexe. Car n’oublions pas que si le footballeur n’est pas qu’une chose qui tape dans un ballon, c’en est aussi une. Le prédicat exacerbé et isolé dans la caricature n’est certes pas suffisant pour définir réellement l’objet caricaturé mais il reste un prédicat nécessaire. Inversement, il est possible de caricaturer un objet de diverses façon, d’autant de manière qu’il a de prédicat (par exemple, on pourrait également caricaturer le footballeur via son gout pour ses paies astronomiques, son langage souvent limité etc.). Autrement dit, la caricature déforme la réalité mais n’est pas un mensonge total. Une bonne caricature, pour fonctionner, doit dire quelque chose de vrai en partie. Ce que Matthieu nous présente donc à travers son blog, ce n’est pas « la droite » ou l’idéologie de droite réelle (à son grand regret me semble-t-il) mais les prédicats, les caractéristiques, les éléments, bref des parties toutes nécessaires mais jamais suffisantes qui font cette idéologie. Ces parties disent bien quelque chose en tant qu’elles sont les éléments constitutifs de l’idéologie libérale. Bien qu’ils soient déformés, il nous est alors possible de constater l’immense absurdité non pas seulement des propos caricaturaux du jeune Matthieu, 16 ans, Jeune Pop’ écervelé mais de l’idéologie, via ces éléments, qu’il entend défendre malgré sa maladresse qui ne peut que desservir un peu plus sa cause.
Et là dessus, y’a pas photo…