samedi 3 avril 2010

Soutien.


Mélenchon: Les journalistes sont de "petites cervelles"
envoyé par ecoledejournalisme. - Regardez les dernières vidéos d'actu.

J’aime bien Jean-Luc Mélenchon. Je parle ici de l’homme, de son caractère et moins du camp politique qu’il représente (même si je préfère le Parti de Gauche à tout ce qu’il y a à sa droite). Dernièrement, on l’a vu dans une vidéo qui a fait grand bruit. On y voyait Mélenchon engueuler un étudiant en journalisme parce que celui-ci tenait absolument à ce qu’il se prononce sur un sujet qu’il jugeait (à raison) peu intéressant. Les critiques de Mélenchon se portèrent sur l’étudiant-journaliste mais allèrent jusqu’à la corporation journalistique elle-même. Alors bien sur que cela est excessif et qu’il est stupide de dire que « les journalistes, c’est tous les mêmes ». Néanmoins, il convient de s’interroger sur l’abus de langage de Mélenchon plutôt que de le condamner bêtement comme beaucoup de gens le font. Qu’àavoulu dire le chef du PG ? Quelle est sa critique ? Est-elle fondée ou non ?

En fait, sous le coup de la colère, ce que Mélenchon exprime de manière exagérée, c’est une chose qu’il a dite et qu’il dit régulièrement : les journalistes et le journalisme en général, forme(nt) l’opinion publique. Si « l’opinion public n’existe pas » en tant que telle pour Bourdieu, il n’en reste pas moins que le discours produit par les journalistes n’est pas sans conséquence. Or, ce que révèle la vidéo, c’est moins la pensée de Mélenchon (se méfier des journalistes qui ont un pouvoir qui les dépasse et qu’ils ne maitrisent pas) que l’illustration de la justesse de cette pensée (ce qui énerve Mélenchon puisqu’il considère problématique cet immense pouvoir des médias). L’illustration en question consiste à faire parler un homme politique dont les sujets de prédilections sont très politiques (au sens restreint cette fois, c’est-à-dire politique politicienne mais aussi, projet politique, propositions etc.) sur un sujet qui ne l’est pas (ou moins) : les maisons closes. Il est vrai que ce sujet peut être un sujet politique, peut être traité politiquement. Mais ça, ni le journaliste, ni Mélenchon, ni les politiques en général ne le font.


-Ouvrons ici une parenthèse. La plupart des sujets peuvent être traités de façon politique car la plupart des sujets sont politiques. En effet, il se trouve que tout sujet peut être appréhendé de telle sorte qu’il devient un enjeu politique. Nous l’avons bien vu avec la morale : alors que ceci peut et est souvent du ressort du privé, de l’individuel, on en vient facilement à la rendre politique. Mais cela est vrai également de sujets plus « anodins » comme la chirurgie esthétique, l’alimentation, les études, l’habitat… Tous ces sujets peuvent être appréhendés sous un point de vue politique en ceci qu’ils peuvent tous être inclus dans une problématique politique (exemple : la chirurgie esthétique doit-elle être remboursée par la sécurité sociale ? le fait que les pauvres mangent moins bien que les riches doit-il être une préoccupation politique ? les programmes de formation, d’enseignements doivent-ils répondre à une demande du monde du travail ou doivent-il avoir pour but l’émancipation de l’individu ? peut-on construire sa maison comme on veut ? etc.). Bien souvent, lorsqu’on parle de ces sujets, on adopte implicitement une réponse à ces questions si bien que notre propos est, d’un certain point de vue, politique : il signe un engagement dans tel ou tel camp. La philosophie de combat doit s’employer à montrer et à révéler dans quel camp se situe tel discours apparemment neutre et de bon sens. En disant que tout est politique, nous invitons le lecteur à se méfier voire à refuser les discours « objectifs », « neutres », « apolitiques ». La politique est partout, y compris et surtout dans les sujets qui en paraissent fort éloignés.-


Revenons à notre problématique des maisons closes. Assurément, Mélenchon aurait pu le traiter. Mais ne lui demandons pas une chose que plus personne ne fait… surtout pas les journalistes ou les politiques d’ailleurs. Et regardons plutôt ce qu’il veut dire. En refusant de parler sur un sujet qu’il considère comme non politique, ce qu’il veut dire, c’est que le journaliste et le journalisme en général, invite les politiques à parler de plus en plus sur des sujet « non-politiques » et, ça, forcément, ça tue la politique. Si encore, les politiques étaient autorisés ou savaient parler «politiquement » de sujets « non-politiques », on pourrait effectivement qualifier l’attitude de Mélenchon de complètement absurde et la condamner à raison. Mais ce n’est évidement pas le cas. Car que ce serait-il passé si Mélenchon avait accepté de répondre aux questions du journaliste ? Soit il aurait dit des choses bateaux, des poncifs (ce qui est probable étant donné l’absence de réflexion politique sur les sujets qui ne le sont naïvement pas), soit (et c’est moins probable) il en aurait parlé de manière politique et le journaliste l’aurait coupé en affirmant que « ça n’intéresse pas les français ». Et voilà bien le problème et ce que reproche Mélenchon au journaliste. C’est moins le sujet que la façon dont le journaliste demande qu’on le traite que Mélenchon condamne et refuse. Le reproche que nous faisons à Mélenchon est trop général et il ne serait pertinent que si le reproche que ce dernier fait au journaliste n’avait plus lieu d’être. Car le problème principal et premier, c’est le refus du journaliste de parler de politique (au sens restreint). Si nous affirmons que Mélenchon a tord comme beaucoup de mépriser beaucoup de sujets car, contrairement à eux, nous pensons qu’ils sont politiques (dans un sens large), nous condamnons à plus forte raison le journaliste qui refuse d’entendre parler de politique au sens large ET restreint.

Que vaut se reproche ? Est-il fondé ? Dans son caractère général, bien sur que non. Des journalistes un peu sérieux comme ceux du Diplo sont de parfaits contre-exemples et Mélenchon le sait. Dans ce journal, on montre justement comment des sujets « apolitiques » ont une face politique (au sens large et restreint). Mais, inversement, peut-on dire que le reproche que fait Mélenchon au journalisme est totalement infondé ? Les journalistes sont-ils tous du même acabit que ceux du Monde Diplomatique ? Bien sur que non. Serge Halimi, journaliste lui-même (mais au Diplo justement) en est parfaitement conscient. Dans son ouvrage Les nouveaux chiens de gardes, il montre comment l’immense majorité des journalistes se montre de servile et accepte de soutenir, de diffuser et de présenter l’idéologie des classes dominantes, le capitalisme et, plus précisément, le néo-libéralisme. Il révèle par conséquent que, contrairement à ce que croient (sincèrement en plus !) la grande majorité des journalistes, ils sont loin d’être impartiaux voire loin d’être libres. Mais ça, c’est un discours absolument inaudible pour elle. Ecoutez un peu comment Demorand sur Inter le matin se révolte quant un auditeur ou un invité attaque les journalistes, affirme qu’ils ne sont pas si indépendants que ça. C’est assez effarant alors que les preuves ne manquent pas. Ce que Serge Halimi montre moins mais qui n’est pas moins faux, c’est comment les journalistes façonnent l’opinion public, ou plutôt comment leurs discours pénètrent les esprits. Il faudrait développer ici les thèses de Chomsky ou de Bourdieu pour parfaitement expliquer cela. Nous nous contenterons d’inviter le lecteur à regarder les différences entre les sujets traités par les grands quotidiens et les journaux en général d’une part, et ceux traités par le Monde Diplomatique (par exemple) d’autre part. Dans le premier cas, les sujets sont toujours les mêmes, traités globalement de la même façon, avec les mêmes questions, les mêmes problématiques, les mêmes angles de vues. Un exemple frappant de conformité est le recours et l’utilisation des « sondages ». Que seraient les journaux sans les sondages ? Car lorsqu’une agence de sondage publie les résultats d’une étude montrant que si la présidentielle avait lieu aujourd’hui Aubry l’emporterait face à Sarko, quel soulagement pour nos médias : voilà quelque chose « qui intéresse les français » à raconter.

Ce dont les journalistes ne se rendent pas compte c’est qu’a force de se dire, de se répéter et de ne traiter que de sujets qui, croient-ils, « intéressent les français », ils façonnent un ensemble de problématiques, de sujets, de thèmes qui définiront de manière durable les problématiques, les sujet et les thèmes « qui intéressent les français ». Si l’opinion publique n’existe pas, c’est en ce sens : elle n’existe pas indépendamment de ce qu’en font les journalistes. La thèse journaliste d’une opinion publique est auto réalisatrice. Ce n’est pas l’opinion publique qui est a priori mais le corpus idéologique journalistique. Et à force de répéter, de rabâcher toujours les mêmes choses, ce corpus en vient à imprimer sa marque dans les esprits, construisant alors une opinions publique et un ensemble de choses « qui intéressent les français ». Nous y reviendront mais, par exemple, l’idée selon laquelle l’horizon indépassable de l’humanité est le capitalisme (There is no alternative, TINA), n’est pas une idée partagée par « les français » en raison de sa prétendue évidence. Si elle se retrouve majoritaire aujourd’hui, c’est que tout ce qui pourrait prouver l’inverse est systématiquement balayé par les médias et ce qui pourrait l’appuyer est retenu.


En conclusion donc, nous soutenons Mélenchon dans son attaque du journalisme car il met les pieds dans le plat. Nous le soutenons d’autant plus qu’en tant qu’homme politique et donc dépendant en grande partie de son image, de sa possibilité à développer et à faire entendre son discours, il est dépendant de ce qu’il critique. D’une certaine manière, Mélenchon se tire une balle dans le pied mais c’est assez salutaire.

Nous condamnons en revanche tous les individus, journalistes, notamment qui, loin de profiter de cette affaire pour se remettre en question, vont encore couiner que leur profession est toujours attaqué alors qu’ils sont gentils, libres et impartiaux. Partant, ceux qui les critiquent sont certainement des nazis qui en veulent à la liberté de la presse. Nous les invitons à sortir de leur bulle journalistique pour lire des ouvrages les concernant. Prendre un peu de recul sur ce qu’on est, voilà le véritable gage de liberté car connaitre sa conditions, c’est déjà connaitre ses limites. Mais il est vrai qu’entre faire cela et commenter le dernier sondage donnant Aubry gagnante contre Strauss-Kahn aux primaires socialistes, y’a pas photo…

Aucun commentaire: