lundi 29 mars 2010

Encore un argument moisi...


Dans la série des arguments qui n’en sont pas, il en est un tout aussi récurrent que l’argument moral ou sur la « nature humaine » (sur laquelle nous ne tarderons pas à revenir tant il est fréquent). Pour le saisir prenons cette petite anecdote : ce week-end, on m'a dit qu’Olivier Besancenot n’était pas crédible parce qu’il portait des Nike…
D'abord, il est clair qu'O.B. ne s'habille pas comme il s'habille parce qu'il est "au delà de ça". Si porter un costume pouvait être bénéfique au projet du NPA, O.B. mettrait un costume. Si ce n'est pas le cas, si, comme Arlette, il se pointe souvent en jean et simple chemise, c'est pour faire passer un message. En ceci, il ne diffère pas fondamentalement de la raison pour laquelle les autres personnalités politiques préfèrent s'accoutrer de telle ou telle façon: la forme, c'est déjà du fond et porter tel ou tel vêtement, c'est déjà dire telle ou telle chose. En l'occurrence le message, d'O.B. (et du NPA qu'il représente) consiste à dire qu'il n'y a pas besoin "d'avoir un costard-cravate" pour faire de la politique. Autrement dit, tout le monde peut le faire, à plus ou moins grande échelle, de manière plus ou moins forte. Mais avons-nous tout dit ? La politique (du NPA) peut-elle être totalement incarnée, instanciée ? Peut-on transcrire le projet anticapitaliste dans un vêtement ? Y’a-t-il une tenue anticapitaliste ? Assurément non et cela pour deux raisons. D’abord, un vêtement, même s’il peut être porteur de certaines choses (idées, valeurs, références) ne suffit évidemment pas à résumer et exprimer un projet politique. Quelle est la politique, en matière de santé, du jogging et en quoi diffère-t-elle de celle du mi-bas ? Cela n’a pas de sens. La deuxième raison est plus intéressante.

En réalité ce qu’on m’a fait remarquer en me disant qu'O.B. portait des Nike, c’est qu’il portait des produits de la société de consommation, de la société capitaliste qu’il dénonce. En faisant cela, m’assurait-on, il se discrédite. L’argument est en réalité une variante de l’argument moral : l’individu doit commencer par se changer lui-même, par être exemplaire, s’il veut prétendre changer la société. Cette idée est une énorme bêtise en soi et stratégiquement.
En soi, c’est placer la question politique sur le terrain de la morale. Or, cela, nous l’avons montré, c’est ne rien comprendre à la politique. Stratégiquement, la bêtise en est qu’il est évident qu’il n’est pas besoin d’être « parfait » ni exemplaire pour changer le monde. Je doute fort que les personnes ayant provoqué de grands changements ou même, celles qui accèdent aux responsabilités soient des personnes d’une vertu supérieure. Ce qui compte en politique, ce n’est pas la moralité mais le projet. Mais plus intéressant est encore l’idée selon laquelle un anticapitaliste devrait être l’incarnation du projet anticapitaliste : il ne devrait pas porter de vêtement de marques parce que les marques c’est capitaliste, il ne devrait pas avoir de voiture parce qu’une voiture c’est fabriqué par des ouvriers exploités, il ne devrait pas manger de hamburger chez McDo’ parce que McDo’ est capitaliste, il ne devrait pas voter parce que le vote s’inscrit dans une république bourgeoise, il ne devrait pas partir en vacances parce que le tourisme provoque de nombreuses situations que l’anticapitaliste ne peut que réprouver, il devrait manifester plutôt le week-end parce que, quand on tient à une cause, le jour ne compte pas, il ne devrait pas passer dans les médias parce que ceux-ci sont tenus par les capitalistes etc. La liste est infinie mais on pourrait finalement la résumer ainsi : « Un capitaliste ne devrait ne rien faire qui ait un rapport avec la société capitaliste qu’il dénonce » ou encore « l’anticapitaliste devrait vivre hors du système qu’il dénonce ». Mais c’est probablement l’idée la plus absurde et naïve qui soit : on NE PEUT PAS vivre en dehors du système. Par définition, un système est total, global. Toute entreprise de séparation totale est vouée à l’échec car tôt ou tard, nous devrons nous confronter à lui. Un système succède à un autre. La cohabitation de deux système différent ne fonctionne pas car, inévitablement, l'un fini par supplanter l'autre dans un mécanisme de lutte pour la domination. Si l’anticapitaliste n’a pas à être un modèle de vertu car la question politique n’est pas morale, il n’a pas non plus à exemplifier « l’Homme de la société anticapitaliste » car cet Homme n’est pas a priori, mais la résultante d’un ensemble de conditions qui, si elles ne sont pas, empêchent cet individu d’advenir. L’anticapitaliste d’aujourd’hui est un anticapitaliste « capitaliste » parce qu’il ne peut pas ne pas jouer le jeu du capitalisme, prisonnier qu’il est de cette société.
Qu’O.B porte de Nike ou pas, qu’est-ce que ca montre, qu’est-ce que ca change ? Il pourrait porter des Adidas ou des godasses « made in France » le monde ne s’en trouverait pas meilleur. De plus, est-ce une preuve d’une quelconque caution du système ? Non, c’est une preuve des conditions dans lesquelles il vit. Et on touche là au véritable point important. La tenue, en plus d’être porteuse d’un message, est aussi porteuse des conditions de vie dans lesquelles évolue l’individu qui la porte. Aujourd’hui, toutes les conditions de vie ont un point commun : elle se trouve dans une société capitaliste. Mais puisqu’il existe différentes propositions et projets politiques, puisqu'il existe plusieurs tenues donc plusieurs messages, il est plus pertinent de s’attacher aux différences non ? Ce qui distingue les conditions de vie, c’est le niveau de ces conditions, c’est-à-dire la classe sociale à laquelle appartient celui qui porte tel ou tel vêtement. En d’autres termes, il y a point commun entre O.B. et Sarkozy, c’est qu’ils ont tous les deux (mais comme tout le monde en vérité) des conditions d’existences produites par le système capitaliste dans lequel ils vivent (le premier porte des Nike, l’autre des tailleurs de luxe). Mais cela est une conséquence évidente de la définition de système. Ce qui est plus pertinent, c’est de s’attacher aux différences : le premier porte des chaussures qui traduisent un niveau de vie moyen, l’autre parte un costume traduisant un haut niveau de vie. En un mot, la tenue indique moins la cohérence d’un projet que l’appartenance à une certaine classe sociale.
Aussi, l’objection ne tient pas. Tout ce que l’on dit en disant qu’ « Olivier Besancenot porte des Nike », c’est qu’il vit dans un système capitaliste et, peut-être, qu’il n’a pas les moyens de se payer des Chanel, désolé. Y voir un manque de cohérence, c’est être de mauvaise foi ou être bien naïf.

Pour autant, est-ce à dire que la question « morale » ne se pose jamais ? Peut-on se permettre de vivre en bon capitaliste et se dire anticapitaliste ? Non, et il est vrai que certains actes ne peuvent que difficilement coller avec l’idéologie anticapitaliste (spéculer en bourse semble un de ces actes). Mais nous voulons pour l’instant dire que cette question doit être secondaire si nous ne voulons pas tomber dans la conception de la politique comme une généralisation d’une morale particulière. Quant à « l’éthique anticapitaliste », nous y reviendrons plus tard même si nous avons déjà évoqué, en négatif, quelques pistes…

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