lundi 15 mars 2010

Pour une politique consciente

La campagne (et les élections) régionales est presque finie et s’est posé, comme à chaque fois, la question de savoir s’il fallait voter et si oui, pour qui. Aujourd’hui, la question du vote se pose en des termes relativement simples : « Qui vais-je choisir ? ». La question apparait donc comme une question analogue à celle que l’on se pose devant un rayon de barils de lessive : »Quel marque vais-je choisir ? ». Or, pour choisir sa lessive, on essaie de choisir celle qui lave le mieux (oublions un instant la question du prix qui n’est pas importante ici), c’est-à-dire la meilleure lessive. On suppose donc que dans les choix possibles d’un vote il y a UN choix meilleur que les autres. Meilleur en efficacité, qui a plus raison que les autres, qui est plus intelligent etc. Par exemple, on va se mettre à penser que sur la question A, le candidat n°1 a plus raison que le candidat n°2 qui est son exacte opposé sur l’échiquier politique. Si on pense que le candidat n°1 à plus souvent raison que les autres candidats, on votera pour lui car nous penserons qu’il s’agit du meilleur.
Il faut mettre fin à cette croyance, à cette façon de voir. La politique n’est pas (ou peu) question de RAISON, de VRAI ou FAUX. Il n’y a pas de science en politique. Si tel était le cas, il n’y aurait aucun sens à voter : la politique serait affaire de science, de scientifiques, d’experts qui sauraient ce qu’il faut décider parce qu’il ne serait pas possible de décider autre chose. Chaque proposition, si elle est cohérente, peut être admise puisque ce n’est pas le SAVOIR qui compte (ou du moins pas totalement) c’est aussi et surtout l’OPINION. Il faut donc abandonner l’idée, la croyance de se déterminer en fonction d’une vérité absolue. La question relève en réalité du choix de société que l’on veut voir advenir. Et il n’y a nulle fatalité pour qu’une société advienne plutôt qu’une autre. Aussi, il faut à tout prix refuser d’écouter ceux qui voudraient nous faire croire que telle société est impossible sous un quelconque prétexte : la grille de lecture permettant de savoir si une chose sociale est possible ou non étant interne à la société elle-même, il est vain de vouloir tenter de savoir, avec notre propre grille de lecture, si quelque chose de social est possible ou non dans une autre société. Il est absurde de prétendre qu’une société dans laquelle les travailleurs sont les propriétaires des moyens de production est vouée à l’échec. Si on affirme souvent cela, c’est qu’une telle hypothèse est effectivement vouée à l’échec dans une société capitaliste comme la notre. Autrement dit, on affirme bêtement qu’une hypothèse par nature anti-capitaliste est incompatible avec une société capitaliste. Encore heureux ! Merci de la remarque ! Mais cela n’invalide pas la possibilité d’une société dans laquelle cette hypothèse serait réalisé : cela donne au moins une condition de réalisation de cette hypothèse…se placer dans une autre société, c’est-à-dire dans une autre organisation du mode de production. En fait, on oublie qu’une proposition politique ne se pense pas et ne peut pas se penser unilatéralement, en elle-même, isolée des autres problèmes et proposition. UNE proposition politique renvoie nécessairement à un ENSEMBLE plus ou moins cohérent, plus ou moins conscient et plus ou moins complet d’autres propositions. Voilà pourquoi le choix politique n’a rien à voir avec un choix similaire à celui que l’on réalise au supermarché : on ne peut pas se déterminer questions par questions, propositions par propositions mais uniquement ENSEMBLE de proposition par ENSEMBLE de propositions. « Pire encore » : il faut savoir d’où vient cet ensemble. Car tous ne disent pas la même chose et ne causent pas les mêmes effets. Ils n’ont pas les mêmes buts ni les mêmes raisons d’advenir. Et on touche là à un problème dont les dirigeants politiques eux-mêmes n’ont que rarement conscience. Toute idéologie politique (j’appelle idéologie cet ensemble cohérent de propositions) est sous-tendue par un ensemble encore plus vaste et plus souterrain de positions philosophiques. La détermination politique est une détermination philosophique. Mais à ce niveau les choses et les problèmes sont d’une telle complexité qu’on ne peut que difficilement déterminer quelle philosophie se retrouve dans tel ou tel camp. Néanmoins, il y a quelques constantes nous permettant d’y voir plus clair et de nous déterminer. Par exemple, la VRAIE gauche se caractérise par une vision de l’histoire particulière dans laquelle le capitalisme est voué à s’effondrer (1). La droite (et la fausse gauche) se caractérise par une conscience aigue des intérêts de classes qui la pousse a fabriquer une idéologie (entendue cette choix dans le sens marxiste d’une ensemble d’idées et de discours visant à justifier sous prétexte de « bien commun » une politique de classe) et à briser tout ce qui pourrait conduire la classe ouvrière à avoir conscience d’elle-même, c’est-à-dire de passer de la classe en-soi à la classe pour soi (2). Or, à ce stade, il n’est plus possible de dire naïvement, « je suis d’accord avec tel camp ou avec tel autre » car s’il n’est encore pas question de science, il n’est pas non plus question de pure opinion. D’une part, la science n’est pas totalement exclue puisque des travaux en psychologie, en sociologie et le recours à l’histoire peut être éclairant. De plus, il faut avoir des raisons de croire et se forger une argumentation, la tester, la modifier etc.
Et à ce niveau, je ne connais pas de positionnement philosophique plus puissant que le marxisme. Probablement est-ce le seul système qui va et traite des soubassements philosophiques « purs » aux problèmes économiques et sociaux (c’est-à-dire aux problématiques concrètes). C’est donc le seul système conscient de sa philosophie ET de sa politique. Les problèmes surviennent lorsqu’il s’agit d’adapter une pensée par nature dépendante des conditions matérielles à l’évolution de l’histoire. Mais ce problème n’est que « superficiel » au regard de celui que nous venons de dénoncer. Si tous les camps politiques en était à ce stade, le Parti Socialiste n’aurait même pas l’idée de discuter avec le Modem, on ne ferait pas l’apologie du « pragmatisme », on ne nierait pas que la société est ce qu’elle est par choix et non par une quelconque « nature humaine » ou une « fatalité » fantaisiste. Nous reviendrons sur ce point mais il me semble que la « gauche » à définitivement finit d’être de gauche quand elle a abandonné ses soubassements marxistes. Ne voyant pas la cohérence qu’il y avait entre les idées, elle en est venue à penser qu’il était possible de traiter les choses une par une sans avoir recours jamais à une base de référence. Elle s’est crue plus libre, elle n’a fait que changer de base car dans un monde capitaliste, la « base » par défaut, c’est la base dominante, ici, la base capitaliste. En abandonnant l’idée du socialisme, la gauche a définitivement trahi. A gauche, on se moque souvent des « groupuscules » (NPA, LO) mais il s’agit en réalité des seuls partis dans lesquels on peut encore retrouver un véritable fondement aux propositions et aux idées annoncées. Le reste n’est que « pragmatisme aveugle » où la proposition est avancée sans que l’on sache vraiment pourquoi. Ou alors on dit qu’elle est « meilleure », plus « vraie », plus « morale » ce qui revient à considérer la politique sous l’angle naïf que nous dénonçons.
Une véritable culture politique dépourvue des jugements et des vocabulaires évaluatifs est nécessaire. La morale n’est pas inutile, méprisable ou sans importance. Simplement, elle doit être seconde dans notre choix. Ce qui compte avant tout, ce qui est véritablement le moteur des décisions politiques que nous devons prendre en compte, c’est le dépassement d’une société absurde, le dépassement des contradictions capitalistes.

(1)Ceci ne signifie pas qu’il s’effondrera fatalement, mais qu’il contient en lui-même sa propre destruction et les germes d’une nouvelles organisation de la production et donc d’une nouvelle société, la société communiste.
(2) Le discours de M. Aubry d’hier soir est ainsi très significatif lorsqu’elle s’adresse « aux françaises et aux français » car elle s’adresse alors aussi bien à M. Bernard Arnaud qu’à l’un de ses salarié au SMIC qui n’ont assurément pas les mêmes intérêts…

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