vendredi 19 mars 2010

Que la morale en politique est une mauvaise chose.

Régulièrement, tout ce qui se trouverait à gauche du Parti « Socialiste » est taxé d’irréaliste, d’utopiste, de gauchiste et autre termes un peu creux. Néanmoins, cela révèle une chose assez clairement : il est désormais très dur de penser au-delà de l’horizon du capitalisme. Poser, ou plutôt démontrer que le capitalisme est un mode de production historique dont le dépassement est nécessaire est apparemment absolument impensable pour une immense majorité d’individus et de partis politique, y compris à gauche. Il existe de très nombreuses raisons à cela.

Mais il en est une qui prédomine dans le champ des discussions « de comptoirs », des « débats entre amis » etc. Si ces discussions ne sont pas à l’origine de grandes décisions qui changeront la face du monde il est néanmoins crucial d’y apporter une attention particulière car c’est finalement là que se détermine, se transmet et se reproduit l’idéologie dominante. Si la gauche véritable souhaite un jour faire advenir le projet socialiste, il n’est pas absurde de considérer qu’il y a là un enjeu important. La droite l’a bien compris. Aussi nous abreuve-t-elle « d’arguments » bateaux, naïfs, simples et superficielles via les média de masses afin que nous ayons des raisons de la préférer à une société synonyme de sa propre perte. Mais ce n’est pas là que se trouve la raison principal qui rend inaudible le véritable débat politique (même s’il s’agit bien d’un problème assurément important dont la gauche doit véritablement trouver un remède). Non, ce qui empoisonne le débat politique « de base » c’est la « moralisation de la politique ». Avez-vous déjà remarquez comme il est facile dans ce genre de discussion d’en venir à parler de « liberté », de « nature humaine », de « bonheur » etc. ? Assurément, le fondement d’une politique à une part morale. Si nous souhaitons vivre dans telle société plutôt que dans telle autre, c’est probablement parce que nous avons des raisons de croire que celle-ci sera plus agréable que celle-là. Mais en rester à ce stade est bien naïf et ce, pour au moins deux raisons.

Premièrement, les problématiques politiques ne sont pas des problématiques morales. Il s’agit de « gérer » une société, de prendre des décisions quant aux grands axes à suivre, quant aux buts que l’on souhaite voir advenir. .. mais aussi sur les moyens que l’on se donne (qui décide ? par quel moyen ? comment faire respecter les décisions ? etc.). Le schéma «moyen/fin » se retrouve dans toute action, dans l’action morale mais aussi dans l’action politique. Il est très probable que la proximité et le fondement éthique de la politique avec la morale soit une cause de cette confusion. Mais elle s’avère assez grave lorsqu’on comprend que la morale n’est pas un ensemble d’énoncés, de propositions, de lois, de règles absolues et transcendantes. Il existe DES morales dont les origines se trouvent directement reliées aux conditions matérielles d’existences. Bien qu’il existe des points communs, voire une « morale de base », il est terriblement malheureux de prétendre que la politique et ses problématiques se réduisent à des problèmes moraux pour la simple et bonne raison que cela tue la politique. En effet, cela supposerait que l’on viendrait à se mettre en quête d’une morale universelle (puisque la politique est censée s’appliquer à tous sans distinction) et donc rechercher quelque chose qui n’existe pas et ne peut exister (à moins que tout le monde, par magie, se retrouve à partager un ensemble matériel et culturel commun). Il y aura toujours des divergences morales et politiques tant qu’il y aura des différences de cet ordre (c’est-à-dire probablement de toute éternité car le communisme n’est pas l’égalitarisme sommaire dont on l’affabule). Partant, prétendre régler la question politique en passant par la morale c’est nier la politique en tant que telle, en tant que réflexions, problématiques et décisions se situant au-delà du débat éthique. Faire de la politique, c’est faire fit de la question du Bien et du Mal car ils sont admis comme des notions dont les sens sont extrêmement divers. La politique à donc un aspect pragmatique (au sens philosophique) : elle prend acte du caractère aporétique du débat moral et tente de le dépasser. Dès lors, l’argument moral en politique est à rejeter absolument. Il est la preuve d’une incompréhension absolue et fausse les termes du débat voire le supprime en tant que débat politique.

La seconde raison pour laquelle il faut rejeter la discussion morale en politique est que cette dernière peut très bien s’en passer et trouver ses fondements dans les sciences et l’histoire. On rétorquera que l’argument moral pourrait s’y cacher mais on reverra alors au paragraphe précédent : ne pas le prendre en compte. Et que nous apprennent les sciences et l’histoire ? Que la société, sujet s’il en est de la politique, est régie, non par les diverses morales (du moins pas seulement) mais aussi par des lois, des règles, des normes, qu’il existe des classes, des groupes, des rapports de dominations, d’organisation etc. … et que tout ceci est social. Par de là le bien et le mal, ces éléments ne sont pas du ressort de la morale. Se poser la question de savoir s’il est juste que telle classe domine telle autre n’a pas de sens en politique. La question fondamentale est de comprendre comment la société fonctionne afin de voir comment la changer voire de prévoir son évolution. Et c’est là que se trouve le débat : dans la reconnaissance ou non de tels ou tels mécanismes sociaux, de l’avis qu’il faille ou non réaliser telle chose si l’on veut voir telle autre. D’une certaine manière, la politique cherche à influer sur le cours des choses en considérant que telle ou telle donnée est importante. Elle cherche donc à réaliser un programme mais celui-ci ne tombe pas du ciel et ne cherche pas à l’imposer de manière péremptoire (du moins dans les politiques sérieuses et conscientes) en méprisant ou ignorant les mécanismes sociaux à l’œuvre dans l’adoption ou le rejet des propositions politiques. Autrement dit, faire de la politique, c’est n’est pas seulement dire qu’il faudrait, ça serait bien, que telle ou telle mesure soit prise, c’est aussi et surtout savoir comment faire pour les faire advenir . Et c’est précisément là que se trouve le débat.

Pour résumé, nous pouvons dire que tout projet politique possède effectivement une base que l’on peut considérer comme morale. Cependant, le projet ne prend pas sens du simple fait de cette base car :

1. La dite base n’est pas transcendante et résulte de quelque chose de déjà politique. En ceci les problématiques sont politiques et non morales.

2. La question des moyens, la connaissance des mécanismes sociaux, de la structure de la société, de l’histoire, « des lois de l’histoire » sont absolument indispensable pour ne pas tomber dans la politique naïve que nous n’avons de cesse de dénoncer.

Si la politique n’est pas une science, c’est parce que le débat reste ouvert sur la question des moyens, parce que des débats existent au sein des sciences elles-mêmes et par ce que le déterminisme social n’est pas à ce point puissant qu’il oblige l’individu à penser nécessairement ce que pensent la majorité des gens de sa classe. Néanmoins, il convient, dans la discussion politique, de s’appuyer sur les éléments les plus solides possibles, c’est-à-dire les éléments les plus scientifiques et intersubjectifs. En un mot, la politique n’est pas affaire de science mais elle n’est pas affaire de pure opinion. La question morale doit être évacuée du champs politique car elle pollue et corromps un débat matérialiste en ceci qu’il se base sur des choses concrètes et non sur les idées de Bien et de Mal.

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